“Fatigué”. C’est avec cette déclaration laconique que les Japonais ont appris l’hospitalisation d’Obuchi Keizô, leur Premier ministre, qui avait en effet de quoi montrer quelques signes de fatigue. Les tensions au sein de la coalition gouvernementale avec le départ annoncé du Parti libéral (Jiyûtô) d’Ozawa Ichirô, la publication des chiffres du chômage (4,9 % en février, le plus mauvais pourcentage jamais enregistré depuis 1953) ou encore l’éruption du Mont Usu et ses conséquences, il n’en fallait pas plus pour mettre KO un chef du gouvernement.
D’ailleurs la presse japonaise a manifesté une certaine sympathie à l’égard de cet homme qui, depuis 1998, se bat pour relancer le pays et le remettre sur les rails de la croissance avec un succès nuancé. Ce que les journaux ne savaient pas, c’est que le “coup de fatigue” du Premier ministre était bien plus grave. Et lorsqu’on a appris que M. Obuchi avait en fait été victime d’une attaque cérébrale et qu’il se trouvait dans le coma, les médias et la population ont pu se rendre compte que rien n’avait changé et qu’il y avait vraiment quelque chose de pourri dans l’empire du Soleil levant. “Il est honteux de la part du gouvernement de n’avoir rendu publique l’hospitalisation de M. Obuchi que plus de 22 heures après et d’avoir justifié son absence en expliquant qu’il passait son temps avec sa famille”, pouvait-on lire dans le Yomiuri Shimbun le lendemain de l’annonce officielle concernant l’accident cérébral du Premier ministre.
Cette volonté délibérée de vouloir cacher la vérité au moment où le pays devait de nouveau affronter une série de problèmes montre que “l’appareil gouvernemental manque cruellement d’une structure capable de réagir aux situations de crise et cela ajoute au manque de crédibilité dont sont l’objet les responsables politiques”, expliquait, pour sa part, l’Asahi Shimbun. En effet, ces dernières années, plusieurs événements ont souligné l’incapacité des instances gouvernementales à réagir promptement en cas de problèmes majeurs, plaçant les Japonais dans une situation très inconfortable. Le mythe de la sécurité (Anzen shinwa) sur lequel s’appuyait le pays a éclaté avec le séisme de Kobe en 1995 ou encore l’affaire Aum la même année sans parler du marasme économique face auquel les autorités semblent bien désemparées. Aussi les engagements pris pour reconstruire un climat de confiance ont été les bienvenus. D’une certaine façon, le côté bonhomme de M. Obuchi avait réussi à rassurer l’opinion publique alors qu’on ne donnait pas cher de la peau de cet homme lors de son accession au pouvoir.
Il n’aura donc fallu qu’un peu plus de 22 heures de mensonge pour que les efforts entrepris ces dernières années volent en éclat. “La collusion entre les hommes politiques, les bureaucrates et le monde industriel a contribué à l’éclosion de cette culture du secret dans le monde politique”, souligne le politologue Morita Minoru dans les colonnes du Mainichi Shimbun. Face au tollé provoqué par leur attitude, les autorités ont ensuite mis le pied sur l’accélérateur pour trouver un remplaçant à M. Obuchi. En l’espace de quelques heures, les différents membres de la majorité se sont entendus sur le nom de Mori Yoshirô dont la principale mission va consister à préparer les élections législatives qui devraient avoir lieu dans le courant du mois de juin. Reste à savoir si l’affaire Obuchi ne va pas renforcer les Japonais dans leur hostilité à un système dont la crédibilité diminue chaque jour davantage.
Claude Leblanc
Le nouveau Premier ministre Mori Yoshirô