Le succès de Hanabi aidant, les distributeurs indépendants rivalisent de zèle pour sortir les films de Kitano encore inédits. Après Violent Cop, c’est au tour de Swift de nous proposer Jûgatsu (3 x 4 – jûgatsu), connu partout sous le titre anglais de Boiling Point (1990). A ce propos, on peut se demander quand cessera ce snobisme du titre en japonais à tout prix ? Les distributeurs manquent-ils à ce point d’imagination qu’ils ne peuvent trouver de titres français incitatifs ? On y reviendra.
Quant au film, le second de son auteur, il confirme déjà l’art et la manière de Kitano Takeshi, alias “Beat” Takeshi, qui campe un personnage de yakuza macho, dégénéré et marginal, finalement assez proche du “flic violent” de son premier long métrage. A travers l’histoire un peu prétexte de Masaki, un pompiste à moitié idiot qui fuit la vengeance des yakuza qu’il a volontairement provoqués, Kitano se met en scène avec cette sorte de cruauté impavide et quasi muette qui a rendu célèbre son personnage, capable des pires perversions sadiques : Après avoir ordonné à l’un de ses assistants de faire l’amour avec sa propre petite amie, il le contraint à se couper le petit doigt (koyubi) comme s’il l’avait fait de son propre chef. Ceci n’étant qu’une des scènes à la fois cruelles et drôles par des effets de distanciation comique opérée par les vertus de la mise en scène et du montage. Dès ses premiers films, le réalisateur a imposé son style, reposant sur une mise en scène très précise et sur le sens de l’ellipse. La violence est rarement montrée “en direct” comme dans les films américains, mais plus souvent elle est visible par le biais des conséquences comme dans la scène de l’accident de voiture au début de Jûgatsu. On y retrouve aussi son goût pour Okinawa et les jeux de plage, qui préfigurent Sonatine, malgré l’absence de musique, avant sa collaboration avec Joe Hisaishi.
De 3 x 4 – Jûgatsu – expression faisant référence à des règles de base-ball, lequel est présent ici comme dans plusieurs de ses films, restera aussi l’image de Kitano/Uehara, sorte d’antéchrist arborant une couronne de fleurs et anticipant sa mort montrée l’espace de quelques brefs flashes presque abstraits : une sorte d’icône est née. Et pourtant, dès son film suivant Ano Natsu, ichiban shizukana umi (A scene at the sea, 1991), Kitano abandonnera provisoirement la violence des yakuza pour se consacrer à un garçon muet, mordu de surf, anticipant par là sa dernière œuvre, Kikujirô no natsu (L’Eté de Kikujiro) que l’on devrait découvrir à Cannes en mai.a
Max Tessier
Jugastu de Kitano Takeshi (1990) avec Ono Masahiko, Iizuka Minro, Kitano Takeshi. 1h36. Sortie le 14 avril 1999.