Ils sont beaux, peut-être moins musclés que les nôtres, mais il est indéniable que les artistes avec une “gueule” ont fait une percée en 1997. Tel était le constat du magazine spécialisé Nikkei Entateinmento dans sa dernière livraison de 1997. D’une certaine façon, le Japon a été touché par la vague des boys bands.”Mignons, narcissiques et efféminés”, les kireina otoko no kotachi (boys bands) ont fait un tabac. Ainsi le groupe Glay a vendu plus de 3,8 millions d’exemplaires de sa compilation Review – Best of Glay sortie en octobre dernier, et près de 3 millions de ses deux singles, marquant ainsi le retour des jeunes adolescentes dans les magasins de disques. Ces deux dernières années, le marché du disque avait été dominé par des artistes intéressant un public plus âgé – étudiantes et salariés d’une vingtaine d’années – du fait de l’originalité de leurs créations, remettant en cause la routine avec laquelle les maisons de disques produisent les tarento (les jeunes talents) qu’il est parfois difficile de distinguer. Même si la recette de la filière téléfilm, qui consiste à faire un hit de la bande originale d’un film de télévision ou de publicité, s’est encore révélée efficace, les paroliers ont fait preuve d’un réel sens poétique et d’un réalisme qui en a étonné plus d’un. C’est le cas notamment de “Mister Children” qui figure encore parmi les meilleures ventes de l’année avec son album Boléro vendu à plus de 3,3 millions d’exemplaires. D’une certaine façon, 1997 a marqué un tournant dans le monde de la pop japonaise, puisque les groupes issus de la filière téléfilm se sont fait détrôner par des artistes tout droit sortis des bandes dessinées pour adolescentes. Que ce soit Kawamura Ryûichi, Shazna ou encore T.M.Revolution, tous ont fait un tabac chez les jeunes filles en fleurs, jouant au maximum sur l’ambiguïté homme-femme pour s’imposer à un public conquis d’avance. Les conseils d’un expert comme Yoshiki du groupe X-Japan, pionnier dans ce secteur, ont permis à Glay ou encore à Luna Sea, dont est issu Kawamura Ryûichi, de se positionner et de choisir le bon moment pour s’imposer sur une scène musicale en quête de changement.
D’autres ont choisi des stratégies différentes pour s’imposer sur le marché. C’est le cas notamment de Every Little Thing (ELT) qui a fait ses débuts sur la scène japonaise en août 1996 et dont le premier album Everlasting, sorti en avril dernier, s’est vendu à plus de deux millions d’exemplaires. A la différence de Globe ou d’Amuro Namie, qui doivent une partie de leur succès à la forte promotion faite autour de leurs uvres, ELT doit ses bons résultats à une méthode qui avait fait ses preuves dans les années 70 et qui consiste à multiplier les sorties de singles avant de lancer un album dont la vente est garantie d’avance. Ainsi le groupe composé de Mochida Kaori, Igarashi Mitsuru et Itô Ichirô a sorti six singles avant de connaître la gloire avec leur album. Qu’ils jouent sur une présentation sophistiquée ou sur leur âge, les artistes à la mode doivent une grande partie de leur succès à la renommée de leur producteur. Il n’est d’ailleurs pas étonnant de rencontrer toujours les mêmes noms derrière les chanteurs et les groupes les plus populaires. Komuro Tetsuya est sans doute le plus fameux de tous. Il est responsable à lui seul de la vente de plus de 50 millions d’albums ces quatre dernières années. Véritable “force de vente”, Komuro a écrit pour la plupart des artistes du moment, de Globe à Speed en passant par Amuro Namie dont le single Can you celebrate ? a fini en tête de ventes en 1997 avec plus de 2,8 millions d’exemplaires. Ce rôle clé joué par le producteur est relativement récent au Japon. C’est pour répondre aux évolutions du marché qu’à la fin des années 1980 les maisons de disques ont mis en place une nouvelle architecture centrée autour du producteur. C’est la maison de production Being, dirigée par Nagato Hiroyuki, qui a amorcé ce changement en lançant au début des années 1990 des groupes comme B’z ou Zard. Avec une recette simple qui consiste à écrire des mélodies pas trop compliquées pour des génériques de feuilletons ou de téléfilms qui pourront ensuite être facilement intégrées au répertoire des karaoke. Comme la majorité des clients des karaoke sont les adolescents et les jeunes femmes déjà principaux consommateurs de disques, cela revient à rentabiliser deux fois la chanson. Dès lors, les producteurs ont un poids de plus en plus important dans l’orientation musicale, ce qui contribue nettement à une homogénéisation de la scène musicale japonaise. Bien que cela n’ait pas un effet négatif sur les ventes -bien au contraire-, l’omnipotence de certains producteurs empêche l’éclosion au grand jour de nouveaux talents originaux. Il existe bien une scène alternative, mais elle a beaucoup de mal à pouvoir s’exprimer tant le système mis en place par les maisons de disques l’étouffe. C’est ce qui explique qu’une partie du public cherche chez les artistes étrangers, notamment ceux venus d’Asie, un son différent.
Claude Leblanc