Le 21 février, Japonais et Russes entameront des négociations en vue de conclure un traité de paix qu’il aura fallu attendre plus de 50 ans.
Mise en œuvre d’un partenariat stratégique. Contrairement à ce que beaucoup pourraient croire, cet objectif n’est pas celui que ce sont fixés le Premier ministre japonais et le président américain lors de leur dernière rencontre, mais bien la déclaration d’intention sur laquelle HASHI:OTO Ryûtarô et le chef de l’Etat russe, Boris Eltsine se sont entendus le 20 juin 1997 lors du sommet du G7 + 1 à Denver. Pas de doute, quelque chose a changé dans les rapports nippo-russes au cours des derniers mois, même si certaines questions pendantes – notamment le différend territorial portant sur les Kouriles du Sud – demeurent irrésolues.
Principale pierre d’achoppement entre Tôkyô et Moscou, les îles – Shikotan, Kunashiri et les Habomai – revendiquées par les Japonais depuis la fin de la Seconde guerre mondiale ont empêché une normalisation des rapports entre les deux capitales. La guerre froide et l’importance stratégique accordée par l’ex-URSS à ces territoires situés à quelques kilomètres de Hokkaidô ont voué à l’échec les diverses tentatives de règlement ébauchées depuis le début des années 1950. La fin de la confrontation Est-Ouest suivie de l’effondrement de l’Union soviétique a modifié radicalement l’équilibre stratégique en Asie du Nord-Est, en plaçant la nouvelle Russie et le Japon dans une position de relative faiblesse à l’égard non seulement des Etats-Unis – grands vainqueurs de la guerre froide -, mais également de la Chine dont le poids géographique et humain ainsi que le potentiel économique lui ont donné des ambitions régionales voire internationales. Conscient de la nécessité d’un repositionnement face à l’Amérique triomphante, le gouvernement russe s’est orienté vers un rapprochement avec Pékin en multipliant les accords commerciaux et en mettant l’accent sur la mise en place d’un partenariat stratégique. C’est la même motivation qui l’a amené à revoir ses rapports avec le Japon, capable également de lui procurer des aides financières et des investissements indispensables à son relèvement. Soucieux de contrebalancer l’influence grandissante de la Chine et les tentations hégémoniques des Etats-Unis, les responsables japonais ont choisi d’adopter une position plus souple vis-à-vis de la Russie. Perceptible depuis 1994 avec la décision nippone de ne plus lier l’aide économique au règlement du contentieux territorial, l’amélioration des relations bilatérales est passée à la vitesse supérieure en 1996-97. La visite du ministre russe des Affaires étrangères Evgueni Primakov, à l’automne 1996, a été la première d’une longue série au cours desquelles les déclarations de bonnes intentions ont succédé aux offres de coopération les plus diverses. Igor Rodionov, alors ministre de la Défense, n’a-t-il pas proposé à son homologue japonais de développer le dialogue militaire entre les deux pays, tandis qu’IKEDA Yukihiko, ministre des Affaires étrangères dans le second gouvernement HASHIMOTO, soulignait que «les problèmes surgis au XXème siècle devaient être réglés avant l’entrée dans le prochain millénaire», insistant sur l’importance de faire progresser la coopération économique et la question territoriale. Si Moscou et Tôkyô demeurent fondamentalement opposés sur les Kouriles du Sud, les deux capitales ont choisi d’aborder la question avec pragmatisme, préférant le dialogue et des accords ponctuels qu’un blocage total tel qu’il existait depuis 1945. La proposition d’un sommet annuel nippo-russe, la mise en place d’un téléphone rouge entre le Kremlin et la résidence du Premier ministre japonais, le retrait des missiles russes pointés vers le Japon, la signature d’un accord de pêche assurant la sécurité des chalutiers japonais autour des Kouriles du Sud – au cours des dernières années, plusieurs incidents avaient eu lieu -, la création de conditions favorables d’investissements pour les entreprises japonaises notamment en Sibérie orientale, la poursuite des négociations territoriales sur la base de la déclaration de Tokyo (1993), le soutien russe à l’entrée du Japon au Conseil de sécurité de l’ONU et enfin, la mise en œuvre d’un partenariat stratégique sont autant d’initiatives qui marquent un changement radical de la perception qu’ont les Russes du Japon. D’«ennemi», le pays du Soleil levant est passé au statut de «partenaire», ouvrant une nouvelle ère dans leurs relations. Lors du 10ème round des négociations russo-japonaises, le 4 juillet dernier, les deux parties se sont entendues sur les zones de pêche autour des Kouriles du Sud, une avancée considérable quand on sait que Moscou avait proposé en 1995 un système de péage qui revenait, selon Tôkyô, à reconnaître la souveraineté russe sur ces îles. Le vice-président de l’Institut des relations internationales et de l’économie mondiale, M. Zaitsev, estimait dans un entretien à l’Asahi Shimbun (12/10/1997) que «le gouvernement russe devait rapidement proposer au Japon de participer à la mise en valeur des quatre îles en élaborant avec les autorités japonaises notamment une loi économique spéciale, laquelle donnerait aux investisseurs nippons des droits et des avantages particuliers». Déjà bien représentées à Sakhaline où elles participent à l’exploitation pétrolière off-shore, les entreprises japonaises attendent la concrétisation de la proposition pour investir dans une zone dont le sous-sol serait particulièrement riche. L’approche pragmatique à l’égard de la Russie défendue aujourd’hui par les responsables politiques japonais s’explique par leur prise en compte de la situation intérieure russe. La faible marge de manœuvre de Boris Eltsine qui doit faire face à un Parlement composé de nombreux nationalistes interdit aujourd’hui au président russe de faire des concessions territoriales qui seraient automatiquement rejetées. Les prochaines élections générales prévues en 1999 pourraient modifier cet équlibre des forces en faveur du chef de l’Etat si les réformes entreprises dans le pays produisent leurs premiers fruits. Le soutien économique des pays riches dont le Japon fait partie aura un rôle non-négligeable, ce qui peut laisser à penser que d’ici juillet 2000, fin du mandat de Boris Eltsine, le Japon et la Russie pourront mettre un terme à plus de 50 ans de contentieux et signer un traité de paix espéré depuis 1945.