Lors de précédents articles (OVNI n°403 du 15 octobre 1997 et n°405 du 15 novembre), Florent Georges avait retracé les grandes lignes de l’organisation du lycée au pays du Soleil levant. Mais au delà des simples différences structurelles qu’il peut y avoir avec notre pays, il nous faut également mettre l’accent sur une réalité qui, au Japon plus qu’ailleurs, façonne la conduite du lycéen et le prépare à une vie d’adulte responsable.
Ce qui fait la réputation de la société japonaise, c’est avant tout son fonctionnement hiérar-chique, c’est-à-dire un ensemble de relations verticales entre membres “supérieurs” et “inférieurs” d’un groupe. Il en est ainsi au lycée, comme dans l’entreprise, où l’on distingue nettement les “senpai” (anciens) des “kohai” (jeunes).
Si tous les élèves d’un même lycée arborent un uniforme identique, il est néanmoins possible de les différencier en fonction de leur année. Effectivement, ils portent sur cet uniforme un badge de couleur destiné à identifier leur lycée et leur année. Par exemple, dans mon lycée à Tsushima, le rouge, le bleu et le vert représentent respectivement la première, la deuxième et la troisième année. Ce signe extérieur traduit les fameuses relations verticales, en vertu desquelles les verts ont priorité sur les rouges.
Dans ce système, le jeune a tout à apprendre de l’ancien qu’il doit respecter comme son propre professeur. En contrepartie, l’aîné prend le petit nouveau sous son aile, en l’aidant à s’intégrer dans son nouvel environnement.
Cette forme de relations s’est remarquablement instaurée dans les clubs, lieux où s’exercent les seules activités réunissant la totalité des élèves (toutes classes confondues). Durant les premières semaines d’activité, les “première année” ne participent pas à l’entraînement, mais apprennent à installer le matériel et à le ranger, puisqu’ils en sont désormais responsables – tout au long de l’année, ce sont eux qui passent le balai et préparent le gymnase avant une rencontre sportive contre un lycée adverse… Mais les semaines suivantes, deux ou trois anciens se chargent de la formation rapide des nouveaux et leur inculquent les points fondamentaux à la bonne pratique de l’activité choisie. Il faut le dire, j’ai été impressionné par la ferveur des nouveaux, très attentifs aux recommandations de leurs aînés.
Mais la hiérarchie sempai / kohai ne disparaît pas au sortir du club. Elle s’accentue, au contraire, en revêtant une forme purement matérielle. En effet, les “première année” de mon lycée disposent du garage à vélo le plus éloigné, des vestiaires les moins confortables, des salles de classe du dernier étage… et récoltent les tâches les moins réjouissantes lors de la répartition du “sooji” (ménage). Surtout, ne vous en faîtes pas pour ces “kohai”, qu’un tel régime ne gêne absolument pas: il est inhérent à leur culture et fait partie des habitudes; et puis, ils savent que l’année suivante, d’autres nouveaux prendront la relève…
Ce constat établi, tentons maintenant de comparer le niveau ou plutôt la pédagogie des lycées français et japonais. Je crois bien qu’il m’est impossible de dire ce qui est “mieux” ou “moins bien” en général, la finalité de chaque système n’étant pas la même.
Alors qu’en France on privilégie souvent la méthode et la réflexion par rapport aux connaissances proprement dites, au Japon, on valorise exclusivement le savoir: les devoirs sur table sont sous la forme de nombreuses questions, parfois à choix multiples et dénotent la primauté du “par coeur” sur la réflexion personnelle. Quelle différence avec le système français, où dans la plupart des cas, on demande aux lycéens des efforts de synthèse et d’analyse dans une dissertation qui dure parfois quatre heures… On remarquera toutefois que l’élève japonais reçoit une note qui lui indique son niveau réel: dans un test de connaissances pures, il sait exactement quelles sont ses lacunes. L’élève français, lui, est noté selon des critères parfois subjectifs (devoirs de français, de philo par exemple) et peut très bien échouer à l’examen, malgré des résultats corrects en cours d’année.
Ceci illustre bien le fait qu’il n’est pas demandé aux potaches japonais de penser, mais d’accumuler des connaissances afin de savoir répondre à une multitude de questions. Par contre, c’est à l’université que les profs tentent d’inculquer l’esprit critique aux étudiants. Car selon eux, avant de penser par eux-même, ils doivent devenir adultes, au sens japonais: le lycée, à qui incombe cette tâche “morale”, doit les rendre capables de tenir leur rôle dans la société, c’est-à-dire de faire passer la dynamique du groupe avant les intérêts personnels. Après de nombreux mois passés à vivre dans le microcosme lycéen, je ne pense pas que l’école japonaise étouffe la personnalité du jeune, comme on a tendance à le croire dans l’hexagone: simplement, munis d’un bagage culturel et d’une moralité solides, leur personnalité se développera naturellement, dès l’université.
Je reste cependant convaincu de la faiblesse du système japonais pour l’apprentissage des langues étrangères: en classe, les élèves sont passifs et ne prennent jamais la parole: quel est donc l’intérêt d’ingurgiter des listes de vocabulaire, sans mettre en pratique, oralement, les connaissances acquises?
Finalement, lequel de nos systèmes est le meilleur? Ce n’est pas à moi de trancher définitivement, car chacun a son propre avis sur la question. Simplement, j’ajouterai qu’en dépit de la pression qu’elle exerce sur les jeunes, l’école japonaise est beaucoup plus humaine que son homologue française. Notamment grâce à la richesse des activités extra-scolaires pratiquables toute l’année et à l’apprentissage de la vie en société.
Florent Gorges
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