Le 1er octobre sort le film d’IMAMURA Shohei, L’Anguille (Unagi), qui a obtenu une Palme d’Or au dernier festival de Cannes avec le film de l’Iranien Abbas Kiarostami, Le Goût de la cerise (la cerise sur l’anguille, ou le contraire?…). Même si l’on peut légitimement se demander si L’Anguille méritait bien cette palme, et non un autre prix moins encombrant, cela reste un film insolite et souvent passionnant, en dehors des courants du cinéma japonais actuel. Basé sur un roman de YOSHIMURA Akira (Scintille-ment dans l’ombre), le film d’IMAMURA- son premier depuis sept ans – est un mélange assez déroutant de film criminel et policier, de “reportage“ sur un monde marginal du Japon moderne, et de parabole sur l’importance excessive de l’argent qui va jusqu’à détruire les relations humaines. La raison du crime de YAMASHITA (YAKUSHO Koji), tuant sa femme en flagrant délit d’adultère, reste néanmoins obscure. Il a bien reçu une lettre de dénonciation (lue au début du film dans le train qui le ramène chez lui), mais plus tard il doutera de l’avoir lue, et même de son existence. Et Keiko (SHIMIZU Misa), la femme qu’il a sauvé du suicide, et qui devient sa compagne dans le salon de coiffure qu’il a ouvert est-elle seulement réelle? En fait, c’est cette anguille qu’il a “adoptée“ comme une sorte de confidente, qui, bien qu’on la voit relativement peu, est le principal personnage d’une histoire complexe, celui qui cristallise les fantasmes de YAMASHITA. Il n’y a d’ailleurs pas de personnages “innocents“ dans le film, sauf peut-être l’amateur d’OVNIS, qui construit une machinerie de rêve pour les accueillir, alors que tous les autres personnages sont liés par l’argent ou d’autres contrats. Il règne une sorte de folie dans tout cet entourage, incarné par la mère de Keiko, improbable danseuse de flamenco, “Carmen“ névrosée qui sort de l’hôpital psychiatrique. Mais IMAMURA préfère les anguilles, ces animaux qui usent leurs forces pour gagner les eaux du Japon. On en revient aux thèmes de Profonds désirs des Dieux. Mais si L’Anguille n’est de toute évidence pas un “grand“ Imamura, si on le compare à plusieurs de ses œuvres précédentes, c’est pourtant un film suffisamment maîtrisé et insolite pour nous permettre de renouveler nos interrogations sur un pays qui a trop souvent été noyé sous les clichés. Alors, si vous avez l’intention d’aller manger de l’anguille ce soir dans un restaurant, ayez une pensée pour cet animal fuyant, qui n’est pas seulement “sous roche“. Max Tessier |
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