Avec les jardins traditionnels, la cérémonie du thé ou le théâtre Nô, les temples de l’Archipel sont sûrement ce qui véhicule le mieux l’image d’un Japon esthétiquement figé, tourné irrésistiblement vers son passé et bien trop loin de la modernité de ses villes. Alors pourquoi cette vaste étendue de tatamis d’un temple bouddhiste dont le vide incite au recueillement? C’est que pour illustrer l’aspect désertique évoqué par l’onomatopée garan, je n’avais pas vraiment le choix. Car plutôt qu’une impression de néant ou de nudité, c’est davantage un gigantesque bazar que génère la société nipponne. Ce foutoir organisé, dont elle se rend quotidiennement l’artisan, est certes en partie justifiable par la situation géographique du pays: peu de place pour beaucoup de monde, mais est également le fruit d’une longue accumulation de biens matériels qui, aussi bien à l’extérieur qu’à l’intérieur des maisons, finissent par remplir l’espace. Cette notion d’espace, d’ailleurs, paraît même parfois bien vide de sens. C’est que les Japonais semblent attribuer aux objets une valeur qui dépasse largement leur aspect fonctionnel ou décoratif. Comme si tout avait une mémoire, chaque chose semble liée au souvenir. En consommant, les Japonais façonneraient en quelque sorte leur identité. Un chez-soi bien rempli serait synonyme de vie bien remplie, et entasser les objets devient alors un acte de survie. Consommer pour vivre et inversement. Mais attention, car rempli a d’autres synonymes: gavé, rassasié, bourré, saturé, pour ne citer que ceux-là. Restons zen.
Pierre Ferragut