Il y a un mot que de nombreux Japonais espéraient ne pas devoir entendre avant plusieurs mois, du moins de la part du gouvernement de Koizumi Junichirô. En effet, avec un Premier ministre disposant d’une cote de popularité exceptionnelle frôlant les 80 % d’opinions favorables, ils pouvaient penser que le terme “dissolution” perdrait de son importance, et surtout, qu’il ne deviendrait pas une arme défensive pour ce chef de gouvernement iconoclaste. Mais pour la énième fois en un peu moins d’une décennie, l’opinion publique japonaise a pris ses rêves pour une réalité qui, hélas, est cruelle pour les politiciens désireux de changer un pays en pleine crise de confiance. Aujourd’hui, à Tokyo, l’hypothèse d’élections générales anticipées n’apparaît donc plus comme un délire ou une prophétie farfelue. La situation est tellement critique pour le Premier ministre qu’on ne voit pas comment il pourra sortir de l’ornière sans prendre la décision de dissoudre la Diète et de provoquer des élections. Certes la position de M. Koizumi n’a jamais été très confortable. Son arrivée à la tête du gouvernement plébiscitée par les adhérents du Parti libéral démocrate (PLD) n’avait pas fait que des heureux au sein de sa formation. Ses promesses de bouleverser le fonctionnement du parti en mettant fin au régime des factions et en envoyant à la retraite les caciques ont provoqué quelques grincements de dents notamment chez les vieux satrapes du PLD. Mais Koizumi pouvait compter sur la jeune génération désireuse de moderniser une formation politique presque cinquantenaire et surtout sur une opinion publique lasse des scandales à répétition auxquels le PLD était bien souvent associé. La constitution de son équipe ministérielle a été le symbole de ce changement. La désignation de Tanaka Makiko au ministère des Affaires étrangères constituait un signal fort en direction des responsables du PLD mais aussi de la bureaucratie peu encline à entendre parler de réformes. Connue pour son franc-parler, Mme Tanaka n’a pas tardé à se heurter à la muraille bureaucrate en multipliant les provocations qui, au final, se sont révélées inutiles et improductives. Il aurait sans doute fallu que M. Koizumi tempère sa ministre, mais il a laissé faire, amenant l’ensemble de la machine administrative à se braquer contre Mme Tanaka. L’affaire des organisations non gouvernementales “oubliées” lors de la conférence sur la reconstruction de l’Afghanistan qui a conduit à la démission de Mme Tanaka est la conséquence directe de la mauvaise gestion de M. Koizumi. Alors qu’il aurait dû se battre bec et ongles pour la conserver à son poste, le Premier ministre a lâché sa ministre des Affaires étrangères. Ce signe de faiblesse n’a échappé à personne ni à l’opinion publique ni surtout aux vieux loups du PLD pour qui l’assaut final pouvait être lancé. La réaction des Japonais a été immédiate. Les sondages ont tout de suite montré que le départ de Mme Tanaka était une erreur. En l’espace de quelques jours, les avis favorables sont passé de 80 % à moins de 50 %. Et ce que le chef de gouvernement aurait pu considérer comme un incident de parcours – on n’est pas toujours en forme – se confirme aujourd’hui. Dans une enquête publiée par l’Asahi Shimbun, le 3 avril dernier, le nombre de ses détracteurs est passé de 40 % à 44 %, celui de ses défenseurs est tombé à 40 %. Pour la première fois depuis son entrée en fonction, la part des mauvaises opinions dépasse celle des avis favorables. Et le PLD a dégringolé dans les sondages à 25 % de bonnes opinions, un chiffre proche de celui atteint à la fin du mandat de son prédécesseur, M. Mori. En d’autres termes, le flamboyant Koizumi qui se distinguait par son extraordinaire popularité est devenu un Premier ministre comme les autres, c’est-à-dire un homme politique irrationnel à dix mille lieues de ses contemporains. Son désir inébranlable – pour l’instant – de laisser à M. Takebe Tsutomu la charge du ministère de l’Agriculture alors que celui-ci a été très critiqué pour sa gestion de la crise de la vache folle en dit long sur la situation d’impasse dans laquelle M. Koizumi s’est lui-même embarqué. Il est peu probable que ses ennemis au sein du PLD laissent passer une nouvelle occasion de le déstabiliser et que les Japonais lui pardonnent de conserver un homme dont les déclarations irresponsables ont suscité un vent de panique. Comme ses prédécesseurs auxquels il ne voulait pas ressembler, M. Koizumi doit désormais négocier sans tambour ni trompette sa survie, en ayant à l’esprit la dissolution comme moyen de défense suprême. Claude Leblanc |