Ozu Yasujirô est devenu l’idole de nombreux critiques cinématographiques occidentaux lorsque ceux-ci ont découvert le fameux Voyage à Tokyo (Tôkyô Monogatari, 1953) sorti en France en 1978, vingt-cinq ans après sa première diffusion au Japon. Cette découverte s’est accompagnée d’un engouement pour l’œuvre du cinéaste que l’on a présentée de façon désordonnée, en fonction des droits obtenus ou du désir des uns et des autres. Cela a fini par donner une image un peu troublée de l’œuvre du maître d’Ofuna, laquelle aurait mérité sans doute que l’on fasse un petit effort de présentation chronologique. Il y a quelques années, Arte Vidéo avait fait un premier pas dans cette direction, en éditant un coffret dans lequel on retrouvait la plupart des derniers films d’Ozu comme Le Goût du sake (Sanma no aji, 1962). Le coffret offrait en bonus Gosses de Tokyo (Umarete wa mita keredo, 1932) dont le remake Bonjour (Ohayô, 1959) figurait parmi les films choisis par Arte. C’est aujourd’hui au tour de Carlotta Films de se pencher sur le réalisateur japonais, en adoptant une démarche pédagogique (n’y voyez aucune connotation péjorative) très intéressante, car elle permet de suivre et de mieux comprendre l’évolution de son style. Des six films présents dans ce coffret, trois sont muets et ont été tournés avant-guerre parmi lesquels on peut citer Histoire d’herbes flottantes (Ukikusa Monogatari, 1934) , trois sont parlants et ont été tournés après-guerre dont Récit d’un propriétaire (Nagaya Shinshiroku, 1947), le premier film tourné par Ozu après la fin du conflit, donnant ainsi une unité à l’ensemble. Dans tous ces films, Ozu manifeste une grande maîtrise de la mise en scène. On y retrouve la plupart des techniques qui ont permis à Ozu de se faire un nom dans le cinéma mondial : caméra à hauteur de tatami, faux raccords et ses fameux plans vides. Grâce à ce coffret dont on peut aussi saluer la présentation soignée, Carlotta donne un aperçu de la qualité du travail d’un cinéaste qui, au fil du temps, a réussi à imposer un style particulier. Comme tout éditeur qui se respecte aujourd’hui, l’ensemble des six films proposés sont accompagnés de bonus assez inégaux. Les courts métrages valent le déplacement dans la mesure où ils donnent, eux aussi, quelques indices sur les futures œuvres du cinéaste. En revanche, le documentaire réalisé par la Shôchiku en hommage au maître est moins intéressant, car il ne s’agit en fait que d’une apologie du cinéaste qui fut l’un des piliers du grand studio. Ce coffret présenté comme le premier volume d’une longue (?) série constitue une mise en bouche des plus agréables. Parallèlement à la sortie du coffret, Carlotta sort aussi Il était un père (Chichi ariki, 1942), film tourné pendant la guerre. Il illustre parfaitement la transition entre la certaine insouciance que l’on retrouve dans les films d’avant-guerre et les thèmes plus sérieux abordés dans ses réalisations d’après-guerre. Ce film était inédit en France jusqu’en 2005 date à laquelle il était sorti dans quelques salles. Il est désormais accessible et c’est tant mieux. Et là encore, on peut féliciter l’éditeur pour le soin apporté à ce DVD dans lequel on découvre un génial Ryû Chishû, interprétant tout en finesse le personnage du père. Claude Leblanc Coffret Ozu (4 DVD), vol. 1, Carlotta Films, 66euros. |
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