Il y a des choses qui fascinent pendant de longues années, au travers de films, de BD, de romans ou de dessins animés. Attiré par la culture nipponne mais coincé dans sa douce France, on en vient parfois à attribuer à certains objets une valeur quelque peu artificielle, certes, mais profondément enracinée car personnelle et nourrie de sentiments. De loin, le Japon intrigue, étonne, épate, agace, amuse ou déconcerte. Sa culture culinaire, notamment, si riche et si vivante, offre parfois des mets dont l’évocation par de simples mots et images ne font que les rendre encore plus fascinants, insaisissables, irréels. Pour moi, le mochi n’a été pendant longtemps que cette pâte blanche tendrement caoutchouteuse comme une joue de bébé: mochi mochi, avec laquelle, dans le film d’Itami Jûzô (Tampopo, 1985) un vieux glouton s’étouffe complètement et ne doit finalement la vie qu’à un aspirateur. Depuis ce choc, ma culture du mochi s’est bien sûr diversifiée. J’ai peu à peu appris qu’il s’agissait de riz cuit longuement pilé, qu’il se mangeait aussi bien salé que sucré, chaud ou froid, qu’il se dégustait traditionnellement à l’occasion du nouvel an, et que là-haut, au dessus de nos têtes, un lapin s’amusait à en préparer les nuits de plein lune… Pourtant, toutes ces évocations ne parvenaient pas à combler entièrement ma frustration, et à l’image du chat du roman de Natsume Sôseki que la curiosité incite à repousser dans la pratique les limites de son imagination gustative, je me devais de passer à l’acte. J’ai finalement eu la chance de goûter mon premier mochi en France, grâce à des Japonais aussi nostalgiques que gourmands, et, ma foi, je m’en suis remis. Après tout, il ne s’agit que d’une pâte de riz gluant plutôt fade et qui colle.
Pierre Ferragut