Ces derniers mois, des citoyens japonais ont été rappelés à l’ordre par leur gouvernement, pour des actions qui relèvent normalement de la liberté de pensée et d’expression. En avril, le rapt de trois otages japonais a une première fois soulevé au Japon la question du rapport entre l’Etat et l’individu. Peu après le déploiement des troupes japonaises en Irak, résultat de la décision de part et d’autre contestée du premier ministre, 3 ressortissants japonais étaient pris en otage, victimes du choix politique de leur gouvernement alors qu’ils se trouvaient en Irak pour des raisons tout à fait personnelles et des actions pacifistes qui relevaient de leur liberté de pensée : Takato Naoko, 34 ans, qui s’occupait des enfants des rues ; Imai Noriaki, 18 ans, en Irak pour l’écriture d’articles sur les populations civiles victimes des armes contenant de l’uranium appauvri; et Kôriyama Sôichirô, 32 ans, photographe indépendant. Le journal Yomiuri Shimbun (14 millions de tirages quotidiens) ne semblait pourtant pas de cet avis et a incriminé l’attitude irresponsable des 3 otages : “leur irresponsabilité téméraire (ayant mis le pays) dans la position intenable de devoir choisir entre la protection de la vie humaine et la politique nationale”. Pourtant, n’est-ce pas le rôle d’un Etat démocratique que de protéger ses ressortissants, quelles que soient leurs opinions ? Alors que cette première question résonnait encore, voici qu’a débuté le 6 mai le procès de 3 autres Japonais, pour une affaire datant du mois de février. Trois militants du mouvement “le village de tentes”, qui dans les années 70 avait protesté contre la base militaire de la ville de Tachikawa, ont été arrêtés pour avoir déposé, en janvier dernier des tracts dans les boîtes aux lettres des logements collectifs des familles des soldats de la base. “Non au déploiement en Irak ! Faites entendre vos voix !”, était-il écrit. Un mois plus tard, ils furent arrêtés pour violation d’un espace privé, alors que ces logements, sans la moindre surveillance, étaient ouverts aux visiteurs et aux livreurs. En détention provisoire jusqu’au début du procès le 6 mai, le juge décida qu’ils pouvaient être libérés sous caution. Le parquet ayant cependant fait appel, il leur fallut encore attendre la décision de la juridiction supérieure pour être libérés sous caution. Au total : 75 jours de détention, 1,5 millions de yen (plus de 12 000 euros !) et la violation du droit à exprimer son désaccord par des moyens pacifistes. Amnesty International a qualifié les trois militants de “prisonniers de conscience”… une première pour le Japon. La société civile prenant de plus en plus de poids au Japon, notamment à travers l’action des 10 millions de citoyens engagés dans les 100 000 organisations non gouvernementales (ONG) du pays, le gouvernement va certainement devoir contrôler ses réactions s’il compte rester une vraie démocratie. |
Philippe Pons, “Japon, l’élan humanitaire”, Le Monde, 17/04 ; “La presse japonaise divisée sur l’affaire des otages en Irak”, Le Monde, 22/04/2004. Philippe Pons, “Trois Japonais ont passé 75 jours en prison pour avoir distribué des tracts aintiguerre”, Le Monde, 16/06/2004. |
SERIAL CUTTER Le 22 juin, le quotidien Libération nommait un fait divers : “serial Cutter au Japon”. Ce titre cynique, que l’on pourrait qualifier de mauvais goût, l’est en tout cas autant que les actes qu’il rapporte : début juin, une fillette de 11 ans avait égorgé une camarade de classe pour la punir des mots qu’elle avait utilisé contre elle dans son journal diffusé sur internet. Le professeur avait été profondément perturbé et le père de la victime, journaliste au journal Mainichi Shinbun, avait exprimé son émotion par rapport à ce drame. Le 21 juin, nouvelle affaire de cutter, mais cette fois perpétrée sous les ordres d’un professeur : son élève, âgé de 17 ans, avait eu le malheur de somnoler en classe. Le professeur l’a conduit dans une salle réservée au personnel et forcé à écrire ses excuses avec son propre sang, conduisant l’élève à s’entailler le doigt. Le professeur a présenté lui même ses excuses, mais ni les parents ni les responsables de l’école n’ont demandé son limogeage. Si de tels actes étaient perpétrés sur les milliers d’étudiants d’université japonaise qui s’assoupissent tous les jours en classe, les parents et le ministère de l’éducation national finiraient peut-être par réagir ? |
“Serial Cutter”, Libération, 21/06/2004. |
TRAFIC HUMAIN IMPORTÉ C’est pour prévenir ce fléau que 4 ministères japonais ont établi qu’une commission de réflexion pour renforcer la loi débuterait le 6 juillet. En effet, une enquête du département d’Etat américain, dont les résultats ont été communiqués le 14 juin, a révélé que le Japon se rangeait en très bonne place… dans la catégorie des “pires Etats” pour ce qui est du trafic humain, et dénonce le laisser-aller des autorités qui ne pratiquent que très peu d’arrestations dans ce domaine. Chaque année, des milliers de femmes originaires de tous pays, d’Asie mais aussi du Brésil, de Russie, d’Europe de l’Est, d’Australie ou des Etats-Unis sont recrutés par des bureaux spécialisés, parfois relais directs de la mafia japonaise. Elles débarquent au Japon avec l’espoir de commencer une nouvelle vie. Et les voilà enrôlées de force dans des réseaux de prostitution, achetées comme fausse-épouses, maîtresses ou le plus souvent hôtesses dans l’un des innombrables lieux du mizushôbai, ces lieux de divertissements de la nuit où les salariés et les hommes d’affaires viennent “se relaxer” aux côtés de jolies femmes et à l’aide de beaucoup d’alcool..Elles arrivent avec un visa de touriste, ces dernières obtiennent parfois un visa pour être danseuse, mais dans tous les cas leurs passeports sont confisqués et le salaire bien moindre que ce qu’on leur avait promis. Sans parler des coups, des viols et des menaces… Tous les ingrédients de ce que l’on nomme déjà la nouvelle traite des Blanches (et pas seulement) du Japon. |
Michel Temman, “La traite des Blanches sous la coupe de la mafia japonaise”, Libération, 1/07/2004. |
Marianne Bié |