Après 5 ans d’existence, la première division professionnelle de football (J League) s’interroge sur son avenir. Et à l’heure où le pays connaît un coup de blues économique, les équipes japonaises sont à leur tour prises dans la spirale dépressionnaire même si la formation nationale a réussi à se qualifier héroïquement pour la phase finale de la Coupe du monde 1998. Non seulement le nombre de spectateurs continue de décliner, mais les revenus des équipes en lice s’affaiblissent et les ambitions des dirigeants du football professionnel nippon sont revues à la baisse. L’une des conséquences est la réduction d’effectifs dans des équipes qui, au début des années 1990, dépensaient des millions de yens pour engager les meilleurs joueurs et les plus grands entraîneurs de la planète. C’est ainsi que de grands footballeurs européens et sud-américains comme le Français Basile Boli ou l’Allemand Pierre Litbarski ont fini leur carrière en faisant les beaux jours des clubs nippons, tandis qu’Arsène Wenger, ancien entraîneur de Monaco, a passé un peu plus d’une année à Nagoya avant de rentrer en Europe. Mais cette période est bien finie. Même les stars locales sont soumises à un régime sec. Le club de Hiroshima, avec un déficit cumulé de plus d’un milliard de yens (45 millions de francs), a décidé de réduire de façon substantielle le salaire des footballeurs. De son côté, l’équipe de Kawasaki, l’une des formations phares du championnat, qui fait pourtant face à des difficultés financières, a décidé de mettre en place un nouveau barême de salaires indexé sur le nombre d’entrées dans les stades. Pour réduire les coûts de fonctionnement, le nombre de contrats professionnels est réduit. Ainsi, les 18 équipes du championnat 1998 engageront 25 joueurs de moins qu’en 1997, et surtout les entraîneurs japonais remplaceront les étrangers qu’il n’y a pas encore si longtemps ils s’arrachaient. En 1998, il y aura au moins 7 entraîneurs nippons contre deux seulement la saison dernière.
La principale cause de cette situation difficile s’explique par la forte baisse du nombre de spectateurs. Alors qu’en 1994, il y avait en moyenne 19 600 personnes par match, trois ans plus tard, ce chiffre n’est plus que de 10 100. Le football passionne de moins en moins les foules et les sponsors abandonnent peu à peu le terrain. Les chaînes de télévision qui se battaient pour retransmettre les matches rechignent aujourd’hui à le faire, faute d’une audience suffisante. Pour sortir de l’ornière, les clubs japonais attendent beaucoup des retombées de la phase finale de la Coupe du monde 1998 à laquelle l’équipe du Japon est parvenue non sans mal à se qualifier. Il faut dire que les joueurs japonais ont attendu le dernier match pour assurer leur qualification, tenant en haleine les 20 000 supporters qui s’étaient rendus en Malaisie pour suivre le match de barrage contre l’Iran gagné 3 à 2 grâce à un but marqué à la 118e minute de la prolongation. Si le tirage au sort n’a guère favorisé l’équipe du Japon qui devra affronter au premier tour l’Argentine, la Croatie et la Jamaïque, cette première participation à la phase finale d’une Coupe du monde peut tout de même constituer un ballon d’oxygène pour le championnat professionnel.
Pour amener ou ramener les Japonais dans les stades, il est indispensable d’améliorer la qualité du football au pays du Soleil levant. Faute de pouvoir recruter à l’extérieur des frontières de l’Archipel en raison des restrictions budgétaires, les clubs ont tout intérêt à développer une école de formation japonaise. Certes le Japon compte de bons joueurs comme Nakata Hidetoshi, le meneur de jeu de Bellmare Hiratsuka, qui en l’espace de quelques mois s’est imposé comme le dépositaire du jeu nippon, mais pour assurer la relève à venir le pays doit se donner les moyens de former des joueurs et des entraîneurs susceptibles de donner du relief au jeu. Comme le soulignait Okubo Tadao, journaliste à l’Asahi Shimbun, à l’occasion de la finale du championnat des lycées qui s’est déroulée pour la première fois à Tôkyô, “il est essentiel de développer le sens du jeu et pas seulement de mettre l’accent sur la technique”. La fédération s’est engagée à mettre en œuvre une politique de formation plus judicieuse qui devrait porter ses fruits dans les années à venir. L’autre méthode envisagée pour rendre les Japonais plus proches du ballon rond est l’introduction d’un loto sportif approuvé début mai par le Parlement. Toutefois, les particularités du fonctionnement des paris au Japon sous la tutelle forte de plusieurs administrations ne manquent pas d’inquiéter. “Au Japon, les paris sur les courses de bateaux, de voitures, de vélo et de chevaux sont aujourd’hui très contrôlés par les bureaucrates et servent souvent leurs intérêts. Il faut éviter que le loto sportif subisse le même sort. Aussi avant de lancer ce nouveau projet, il est nécessaire de réformer le fonctionnement global du système des paris sportifs”, soulignait le Nihon Keizai Shimbun. En attendant de pouvoir en tirer avantage, les clubs japonais vont donc devoir s’adapter à la crise et les joueurs sont contraints d’assurer le spectacle afin d’éviter une disparition prématurée. La prestation de l’équipe du Japon sur les pelouses françaises aura son importance.
Claude Leblanc