Les nouvelles ne sont pas bonnes. Et quand on dit qu’elles sont mauvaises, ce n’est pas peu dire. Avec une organisation internationale, l’OCDE en l’occurrence, qui affirme que le Japon est au bord du dépôt de bilan et des statistiques plus mauvaises les unes que les autres, on peut comprendre que les Japonais n’aient pas le moral, ce qui complique encore davantage la tâche d’un gouvernement déjà bien en peine. Depuis le début de la crise, les responsables politiques ont réussi à faire croire à leurs concitoyens que le pays parviendrait à sortir de l’ornière grâce à de vastes plans de relance dont la principale caractéristique réside dans les sommes gigantesques allouées aux travaux publics, évitant soigneusement de mettre en œuvre des réformes pourtant indispensables à l’assainissement des finances nationales et à la reprise économique. L’actuel Premier ministre Hashimoto Ryûtarô a été l’un des premiers à annoncer une série de réformes importantes notamment dans le secteur financier totalement obéré par des créances douteuses. Mais le retard pris dans le lancement de ces mesures a conduit le pays à s’enfoncer doucement mais sûrement dans la crise et amené l’opinion publique à douter de plus en plus de la capacité du Japon à la surmonter. Ce manque de confiance renforcé ces derniers mois par les faillites d’importants établissements financiers – les maisons de titres Yamaichi et Sanyo ainsi que la banque Hokkaidô Takushoku – va compliquer la vie du gouvernement qui n’a pourtant d’autres choix aujourd’hui que l’électrochoc. Car la situation est grave, suffisamment en tout cas pour que les voisins du Japon mis en difficulté par la crise financière s’inquiètent de son éventuelle faillite. Déjà les signes sont clairs : les importations en provenance d’Asie sont en baisse, les entreprises japonaises réduisent nettement leurs investissements dans la zone et la monnaie japonaise – le yen – est très affaiblie. Le désengagement économique relatif des entreprises nippones en Asie s’explique par un net repli de l’activité dans l’Archipel même, lequel se traduit par des chiffres peu réjouissants. Les ménages japonais, jadis si dépensiers qu’ils achetaient tout et n’importe quoi, boudent désormais leurs magasins préférés. En février, leurs dépenses ont reculé de 4,5 % par rapport à la même période de l’an dernier sans parler des ventes de voitures qui, elles, ont chuté de 15 % à la fin de l’année fiscale (31 mars). Cette baisse de la consommation a ses racines dans le manque de confiance des Japonais, qui à la vue des chiffres du chômage – 3,6 % en février, le taux le plus mauvais jamais enregistré depuis 1953 – n’ont guère le loisir d’être optimistes. Les chefs d’entreprises sont à leur tour touchés par cette “sinistrose” comme le révèle une récente étude publiée par la Banque du Japon. Dès lors, le pays du Soleil levant semble pris dans une spirale déflationniste dont on se demande de quelle façon il pourra sortir. Conscient des difficultés, le gouvernement espère pouvoir sortir de ce cercle vicieux en utilisant les bonnes vieilles recettes visant à stimuler l’activité économique au travers de gigantesques plans de relance. Hashimoto a annoncé la mise en place d’une enveloppe de 720 milliards de francs dont une partie servira à réduire la pression fiscale sur les ménages afin que ceux-ci reprennent le droit chemin, celui de la consommation. Car l’important est de rendre la confiance aux Japonais, comme l’expliquait le Yomiuri Shimbun (21 avril 1998). Si le gouvernement ne parvient pas à redonner une once de confiance à ses administrés, il est fort probable que les mesures de relance tomberont à plat. Le principal risque, c’est que cet argent rejoigne les comptes d’épargne plutôt que les caisses des magasins. Car les Japonais, habitués à ces plans d’envergure – cinq depuis août 1992 – s’aperçoivent aujourd’hui qu’ils n’ont pas permis de ramener une croissance stable et durable. Au contraire, pour la première fois depuis 1974, l’économie nippone a enregistré un taux de croissance négatif en 1997. Et l’OCDE en a rajouté une couche en annonçant que 1998 serait du même acabit. C’est plutôt d’un traitement de choc dont a besoin le Japon et que bon nombre de Japonais réclament. Or les pouvoirs publics semblent aujourd’hui incapables de mettre en œuvre cette politique radicale, au point que le Yomiuri Shimbun, premier quotidien du pays, a pris le taureau par les cornes en proposant “sept mesures pour sortir de la crise”. L’une des plus remarquables concerne la personnalité du Premier ministre, lequel “doit faire preuve d’autorité”. Hashimoto était apparu en 1996 comme l’homme capable d’apporter des solutions et surtout de les appliquer. Mais l’inertie et les conflits d’intérêts entre les différents membres de la coalition ont empêché le chef du gouvernement de mettre en place les réformes et les mesures indispensables à la reprise et au retour de la confiance. Le scrutin sénatorial de juillet prochain permettra peut-être d’éclaircir la situation, si le choix des électeurs amène le Premier ministre à provoquer des élections générales anticipées, d’où émergera une majorité capable de mettre le pays sur les rails de la réforme.